Accrochez les ceintures, on part il y a 20 ans.

On est en 1992. Je suis jeune. Insouciant. 20 ans tout mouillé. Pas encore trop d’idées sur ce que je vais faire de ma peau.
J’ai un couple d’amis qui militent au DAL. Un toit c’est un droit.
Ils agissent pour aider ceux qui en ont besoin. Ils me racontent les actions, la « loi de réquisition », une ordonnance de 1945 qui permet à l’Etat de réquisitionner des logements vides.

Une réquisition c’est un travail de préparation.

Ils trouvent un immeuble vide, appartenant à une entreprise ou grand groupe public par ex. Cet immeuble est « réquisitionné », investi par les militants, dans une action publique et symbolique, mais pas que. Pendant quelques jours ou quelques mois (ou parfois seulement quelques heures), des familles trouvent un toit à mettre sur leurs têtes. Parce que tu sais : « sans toit je meurs ».

Alors avec ces amis, j’ai participé à quelques actions, et fait des photos.

Celle-ci a été prise lors de la réquisition d’un immeuble appartenant à EDF et vide depuis des années.

Les militants agissent pour des familles qui sont dans des situations complexes, dures. C’est pas du luxe. Je croise l’Abbé Pierre.

Bien sûr tu as entendu parler des marchands de sommeil. Mais il y a aussi les abris de fortunes, des mini-bidonvilles.C’est comme ça qu’un jour j’ai accompagné cette amie. Elle m’a proposé de l’accompagner. On allait rendre visite à des familles. Pas loin. A Saint Denis. Ca s’appelle Le Cornillon ce coin. On y va en métro. Et puis à pied quand même. Presque en ville. C’est pas loin.

Tu longes une voie expresse, passes sous une autoroute, longe le canal. Voilà. Tu te glisses par un trou dans une palissade.

Là tu commences à sentir que tu as fait du chemin. C’est plein de verdure, mais c’est pas le Luxembourg. Dans un coin il y a des batteries. Tu aperçois des planches, du plastique. Dans ton cerveau ça fait clic et re-clic. Tu percutes. C’est une maison.

Quand je dis maison, tu me comprends. Un abri. Une cabane. Mais eux c’est pas pour jouer.
Tu sens que tu as fait plus que les quelques kilomètres qui te séparent de chez toi. Ca ressemble plus à des années lumière.

Leur cabane, elle tient. Il y a des sortes de fenêtres même, et un lit. Une table. Confort moderne.

Les légo de la petite c’est des batteries de voiture. Ses fringues sont crades, trouées. Sa tétine qui pend est un ovni.
Elle habite là, dans cette « maison », avec sa grande soeur et leurs parents.

Tu te demandes ce qu’ils ont fait pour habiter là. Ou alors pourquoi ils ne préfèrent pas habiter dans une vraie maison.La mère est employée. Elle travaille comme dame de service dans un établissement public, touche un salaire. Déclarée. Le père bricole.
Ils ont les moyens de payer un loyer mais c’est pas les meilleures références pour les loueurs visiblement.

Sur le même terrain il y a deux ou trois autres cabanes. Dont une très élaborée. Une tente aussi. Pas très élaborée.

On est là parce que tous ces gens vont être relogés. Tu comprends, ils ne peuvent pas rester là. On va construire. Un stade. Un Grand Stade. On aperçoit pas loin les buldozers, qui se sont mis en action récemment. La Tour Pleyel n’est pas loin.

En fait c’est en rentrant chez moi le soir que le blast a frappé. Dans mon appartement, dans ma chambre. 30mn de trajet, 100 ans de décalage. Le métro du matin devait être une machine à remonter le temps. Je ne vois que ça. Ce matin là en venant je crois que j’ai accidentellement franchi une frontière inter-dimensionnelle. Ca ne pouvait pas être le même monde.

On est en 2012 et ces images sont toujours d’actualité. Il a toujours des gens à la rue, des mal logés, des cabanes. Peut-être même plus qu’alors.

Ces photos se retrouvent ici sous le tag DAL.